La Geste Noire
Ô
Couronnées.
Je ne pardonne qu’aux morts.
Mes adversaires s’étiolent à ma flamme dans leur palais de papiers.
Les couleurs délavées de leurs antiques drapés portent encore mes initiales alors que mon train blindé parcourt des nuits de lumière qu’ils ne connaîtront jamais.
Et l’oncle Mocké est mort à la guerre.
Quelle guerre ? L’une des guerres qui ponctuaient le Grand Empire du Centre au temps de sa seconde vieillesse. La Ville s’étendait loin alors. De loin en loin. De villes en villes. Tendant à n’en former qu’une, absorbant lentement les derniers degrés du Jour Fauve. Les Maîtres de la Ville, politologues, neuroscientologues, médiatologues et autres docteurs en logue détenaient les clefs du succès de la Mégalopole : ils vendaient la vie quotidienne à des morts en sursis.
La nécessité avait toujours son rang de loi.
Ainsi de cette ville que nous quittions, sous les voûtes de lueurs lointaines de ses implosions, traces irisées de ses rebellions de banlieues et de ghettos non déclarés, imitant la cité dans ses fastes à en faire rire…
Au-delà des faubourgs de calme transitoire qui bientôt fourmilleraient d’ennemis intérieurs se dressait le Haut Mur. Grand. Gris. Massif.
Peu pouvaient le dépasser, le franchir. Nul n’essaie.
Ainsi donc mon convoi roulait.
Dernier passage en la Chancellerie, dernières instructions, derniers souhaits. Et il m’avait fallu partir, prendre ce commandement jusque plus après, et t’emmener, victime d’incertitudes.
L’ancienne locomotive, une Pacifique 101 LA exportée par le diable sait qui ou par ce magicien d’Architecte, faisait tanguer le convoi, précipitant presque ma belle aide de camp par-delà la rambarde de sécurité.
Six voitures oscillantes constituaient le tracé argenté de notre fuite éperdue vers les terres du Haut Mur.
Trois d’entre elles étaient des citadelles inexpugnables, amas de plomb percés de meurtrières, les autres contenaient l’après-règne culturel que l’on m’avait confié, millésimes désossés.
Ainsi des conflits par mégarde.
Larma Amethista.
Les armées de basses tenues marchaient donc sur la Haute Ville de mes anciens maîtres et les redditions n’étaient plus de mise, pas plus que les rémissions de dernière heure. Miroir du pouvoir, double pôle de la cécité.
Et nous foncions dans cette soirée de déroute, dans les senteurs de cuir de nos uniformes de foudre et de rage, au toucher des porte-jarretelles de nos fidèles cavalières de révolte, Infantes de nos jours de septembre.
Et dans ces wagons les milliers d’incunables arrachés à leurs folies, et ta peau d’orge blanc, cathédrale ascendante de tes os vers tes coupoles de vie palpitante, jusqu’à tes ongles enracinés dans les transepts de notre foi au vice, de notre course aux tombeaux de granit noir, sous la cascade des vitraux orgiaques, Ô Notre-Dame Pâle de la Potence, Marie-Mélanie du Gibet.
C’est le Sang Noir qui brûle dans mes artères, de Taxco des Montagnes d’Argent à Luxerstadt aux vaubanesques allures, la cité des corrosions de nuit où les premières lueurs du matin emportent les débauches des seigneurs d’artifices. Notre-Dame des Serpents du haut de son règne triste tourne son dos enfaçadé à la Pétrusse et pleure les enfances perdues dans les venelles trop propres de sa ville.
Et les rails se fondent dans les rails, en nos médianes de l’ombre.
Tu as longtemps parlé, my friend. Presque dix lunes que tu as répandu ton savoir comme un poison que tu voulais partager, trop longtemps joué ton rôle de composition de second officier devant ton public bigarré des children des quatre vents du monde.
Le temps est venu pour toi de redevenir Nomade, ô gentil illusionniste en sa redingote de voyage, d’ouvrir coffre de limbes noires et de fleurir tes arrière-pays. Par delà le Haut Mur.
Faire digne besogne en tes castels de spirales, sous les auspices cléments de Notre-Dame des Voluptés.
©Esteban - Sabam A/A/15625
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